Du 16 au 17 décembre 2013, s’est tenu à l’Hôtel Novotel de Dakar, l’Atelier national de réflexion et d’échange sur la situation carcérale organisé par le Ministère de la Justice en partenariat avec l’Observateur National des Lieux de Privation de liberté (ONLPL), le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) et le Bureau Régional pour l’Afrique de l’Ouest du Haut-commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (HCDH). A cette réunion, ont participé les représentants du Parlement, des partenaires techniques et financiers, des magistrats des hautes juridictions, des magistrats exerçant dans les différents ressorts du pays, des Ministères impliqués dans la gestion des détenus en milieu carcéral et des organisations non-gouvernementales qui œuvrent pour l’amélioration des conditions des détenus et l’Association pour la prévention de la torture (APT). La liste des participants est jointe au présent rapport.
Monsieur Boubou Diouf Tall, Observateur National des Lieux de Privation de Liberté a dans son mot de bienvenue, précisé le contexte de la tenue de l’atelier en rappelant à cet égard le protocole facultatif se rapportant à la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et les missions de l’Observateur National telles que déclinées par la loi 2009-13 du 02 mars 2009. Il précisait que les termes de référence de cet atelier qui est un moment de réflexion sur la politique carcérale ont été élaborés conjointement avec la Direction de l’Administration Pénitentiaire(DAP), le CICR et le HCDH pour mieux permettre à l’Administration en charge des prisons de s’approprier les résultats et recommandations du séminaire.
Il souhaite que l’atelier débouche sur un plan d’action et que l’approche dans le cadre des travaux soit inclusive afin de bâtir une culture de non torture qui est le corolaire de la lutte contre l’impunité. Il terminait par remercier les partenaires techniques et financiers et exprimer sa profonde gratitude envers la Police, la Gendarmerie Nationale et l’Administration Pénitentiaire qui ont toujours fait montre d’un esprit de coopération constructive à l’égard de son institution.
Le Directeur de Cabinet du Ministre de la Justice qui a présidé la Cérémonie d’ouverture de l’atelier a remercié à son tour les participants pour avoir répondu à l’invitation qui leur a été faite de participer aux travaux. Une présence qui atteste à son avis de l’adhésion des magistrats aux efforts et réflexions menés pour une meilleure prise en charge des détenus. Après avoir rappelé le cadre légal et institutionnel mis en place par l’Etat pour moderniser les établissements pénitentiaires, humaniser l’exécution des peines et favoriser la réinsertion sociale des détenus, il a souligné que ces initiatives doivent être renforcées par la réflexion et des propositions à même de définir des orientations stratégiques pour le respect des règles minima en matière de détention. Il a par la suite déclaré ouvert l’Atelier National sur la situation carcérale et souhaité plein succès aux travaux.
Les travaux proprement dits ont débuté en plénière selon une approche basée sur les exposés des animateurs, un exercice qui permet un échange de connaissances et d’expériences sur les questions fondamentales liées au thème central de l’atelier.
Monsieur Idrissa Sow, Inspecteur de l’Administration pénitentiaire, a présenté dans ce cadre le thème relatif à « l’état des lieux de la situation carcérale au Sénégal ».
Il a dans cette perspective fait un diagnostic exhaustif et sans complaisance de l’état des lieux après un bref rappel historique qui permet de relever que tous les établissements pénitentiaires datent de l’époque coloniale et que depuis l’indépendance du pays aucune autre prison n’a été construite. Il a par la suite fait la typologie des établissements pénitentiaires et mis l’accent sur des données statistiques qui permettent de caractériser les maux dont souffrent les prisons et qui ont pour noms : surpopulation carcérale, alimentation insuffisante et sans grande valeur nutritive, prise en charge sanitaire difficile des détenus, et des conditions d’hygiène déplorables pour ne pas dire effroyables. Il a souhaité que des actions prioritaires soient entreprises pour remédier à une telle situation, lesquelles actions doivent déboucher sur la construction et la réhabilitation des prisons, le renforcement des moyens d’action de la Direction de l’Administration pénitentiaire, l’augmentation de la mobilité dans les prisons, l’accroissement du personnel, des éducateurs spécialisés et des assistants sociaux, le renforcement des pouvoirs du juge de l’application des peines et la mise en œuvre effective des modes d’aménagements des peines prévus par la loi.
Monsieur Thiéyacine Fall, Secrétaire Général des services de l’Observateur National des Lieux de Privation de Liberté a pour sa part introduit le thème « Regard critique de l’Observateur National sur la situation carcérale au Sénégal ». Il a d’emblée marqué son accord sur l’état des lieux décrit par son prédécesseur en soulignant que malgré l’accroissement démographique et la montée de la délinquance, l’Etat n’a pris aucune disposition pour construire et moderniser les prisons, ce qui a fortement contribué au phénomène de la surpopulation carcérale et à la dégradation des conditions matérielles dans les établissements pénitentiaires qui sont dépourvus quasiment de l’essentiel. Il a particulièrement insisté sur la récurrence des allégations de torture qui sont monnaie courante en citant des cas vécus dans le cadre des visites, comme les exactions dans la brigade de Koumpentoum, ou des cas célèbres comme le décès de Maleyni Sané ou les violences subies par un ressortissant espagnol. Il en appelle à des sanctions fermes contre les auteurs des tortures car il estime que toute tolérance dans ce domaine encourage le phénomène. Il a déploré dans ce cadre la réaction des parquets qui n’est pas souvent au rythme souhaité dans les cas de saisine pour torture et mauvais traitements avant d’annoncer un programme de formation pour sensibiliser des cibles identifiées sur les conséquences des actes de torture.
Monsieur Mamadou Cissé Fall, coordonnateur des juges de l’application des peines(JAP) a présenté à son tour « la Problématique de la législation et de la pratique de l’aménagement des peines et des mesures alternatives à l’incarcération au Sénégal ». Il a dans ce cadre rappelé les principales innovations de la réforme dont l’objet est à la fois de diminuer le nombre d’entrées dans les prisons en développant des peines alternatives et d’augmenter le rythme de sorties des prisons. Il constate toutefois que les peines alternatives et les modes d’aménagement des peines sont loin de rencontrer un succès dans la mise en œuvre du fait essentiellement de ce qu’il appelle un droit positif statique et des zones d’ombre dans certains concepts. Il soulignait que pour mettre fin à la léthargie des organes, renforcer le juge de l’application des peines qui doit être le moteur de la réforme et vaincre le conservatisme judiciaire, il faut tendre à la mise en place d’une chambre de l’application des peines dans les tribunaux régionaux et attribuer au Comité de l’aménagement des peines une compétence de juridiction d’appel des décisions de la dite chambre et enfin renforcer les capacités de tous les acteurs.
À la suite de ces trois exposés forts enrichissants, les participants ont été répartis dans trois sous-ateliers qui constituent des cadres d’approfondissement des thèmes débattus et un contexte pour formuler des propositions et recommandations.
Les sous-ateliers qui ont d’abord réfléchi à l’identification des obstacles à la prise en charge correcte des détenus et à une décongestion des établissements pénitentiaires ont proposé des réajustements qui s’articulent à la fois autour des réformes législatives et institutionnelles, de mesures de renforcement des moyens budgétaires et matériels et de meilleures pratiques que doivent observer les acteurs.
I. RÉFORMES LÉGISLATIVES ET INSTITUTIONNELLES
A. Réforme du code pénal et du code de procédure pénale
Mettre fin à la pratique des retours de parquets ;
Limiter le mandat de dépôt en matière criminelle à trois (03) ans au maximum ;
Retourner à la correctionnalisation des infractions relatives aux stupéfiants ;
La contraventionnalisation de certains délits (par exemple les délits mineurs tels que la mendicité ou le vagabondage, etc)
Renforcer les pouvoirs de contrôle des chefs de juridictions régionales et départementales sur les cabinets d’instruction de son ressort ;
Rendre plus régulières les visites des établissements pénitentiaires et des lieux de privation de liberté en général par les autorités judiciaires (Procureurs de la République, Juges d’instruction, Présidents des chambres d’accusations, JAP);
Inviter les chefs des circonscriptions administratives à informer les membres des commissions de surveillance des prisions sur les pouvoirs qui leur sont conférés par la Loi de 2000 de façon à la faire fonctionner de manière plus efficiente;
Ne pas restreindre de manière absolue la liberté d’appréciation des juges par des limites textuelles (modification de l’art. 44-2 CP);
Accélérer l’adoption de la Loi sur la réforme de la carte judiciaire;
B. Réforme des lois 2000.38 et 2000.39 du 28 Décembre 2000 et du décret 2001.362 du 04 mai 2001 portant sur l’aménagement des peines et des mesures alternatives à l’incarcération
Dans ce cadre, les membres des ateliers ont fait les propositions suivantes :
Désengorger les prisons en faisant recours à la grâce présidentielle et à l’amnistie en tenant compte de la gravité de l’acte et de la personnalité de son auteur;
Élargir le champ des infractions éligibles à l’aménagement des peines (en restreignant davantage la nomenclature des limites posées par l’Art. 44-2);
Regrouper les différentes commissions présidées par le JAP dans une seule structure (cette réflexion est à poursuivre);
Spécialiser le Juge de l’Application des Peines (JAP) (le décharger de toutes autres fonctions) et créer une chambre de l’aménagement des peines ;
Réduire le quantum de la peine qu’il faut purger pour être éligible à la libération conditionnelle.
II. RENFORCEMENT DES MOYENS BUDGETAIRES ET MATERIELS
Outre ces réformes législatives envisagées, les membres des ateliers ont eu une attention particulière sur les moyens de l’administration pénitentiaire et particulièrement des établissements pénitentiaires avant de reformuler les recommandations suivantes :
Combler le déficit du personnel de l’administration pénitentiaire en recrutant un personnel administratif suffisant, des médecins généralistes ;
Recruter des assistants sociaux et éducateurs spécialisés, des psychologues et de psychiatres ;
Renforcer les capacités des agents de la DAP par une formation continue ciblée notamment en droits humains ;
Instaurer un climat sain dans le milieu carcéral en développant une politique de management du personnel pénitentiaire et en privilégiant les activités positives telles que le sport, le théâtre, les activités récréatives en général dans la limite des exigences de sécurité;
Organiser autant que possible des causeries avec les détenus sur des thèmes d’actualité ou religieux;
Augmenter le budget de fonctionnement des établissements pénitentiaires notamment en relevant le taux de l’indemnité journalière d’entretien (IJE) de 635 FCFA à 1000 FCFA et en créant une ligne budgétaire autonome pour la couverture médicale des détenus : 200FCFA par détenu;
Prévoir dans le budget consolidé d’investissements un montant de trois milliards (3.000.000.000) pour la construction de la nouvelle prison de Sébikotane qui sera d’une capacité de 1500 places ;
Rechercher des ressources additionnelles par l’intégration des projets de la Direction Administration Pénitentiaire (DAP) dans le 11ème Fonds Européen de développement (FED) ;
Veiller au bon suivi de la coopération bilatérale et au renforcement de la collaboration avec les organisations religieuses ;
Rechercher des moyens logistiques et matériels dans le cadre de partenariats internationaux ; mettre à la disposition de l’administration pénitentiaire des matériels de fouille pour éviter les atteintes à la dignité humaine pouvant naître de cette opération (fouille intégrale);
– Doter l’administration pénitentiaire de véhicules en nombre suffisant pour assurer les transfèrements des détenus et empêcher en même temps la conduite de ces derniers à pieds et souvent menottés à travers les artères de la ville;
Consolider et élargir les partenariats avec les collectivités locales, ONG et associations qui œuvrent pour la réinsertion;
Développer des activités agricoles telles que le jardinage, l’aviculture en vue de l’amélioration de l’alimentation des détenus et de leur préparation à la réinsertion sociale;
III. MEILLEURES PRATIQUES À ENCOURAGER
Ne pas systématiser le mandat de dépôt dans les poursuites judiciaires ;
Prendre des mesures immédiates pour l’acheminement des convocations dans les procédures de flagrant délit;
désignation du Juge d’Instruction par les présidents des Tribunaux régionaux;
Installer des Permanences au Parquet, à l’instruction et dans les formations de flagrant délit pour prendre en charge et à tout moment les déferrements et juger immédiatement les cas de flagrant délit ;
Faire preuve de diligence dans la mise en état des dossiers correctionnels ainsi que dans la rédaction des rapports d’appel ;
Exécuter les mandats de justice dans les délais raisonnables (commissions rogatoires et délégations judiciaires) ;
Marquer des diligences dans le retour des dossiers d’instruction frappés d’appel ;
Veiller à l’application effective par les juridictions de jugement de modes d’aménagement des peines ;
Augmenter le nombre de Juges d’Instruction en veillant à leur expérience et éviter leurs affectations intempestives ;
Susciter une meilleure coordination entre les acteurs (Magistrats, Police, Administration Pénitentiaire) ;
Prendre des dispositions pour le paiement à temps des frais de justice ;
Plaider pour l’organisation d’un séminaire sur les Mandats de dépôt systématiques et les Modes d’aménagement des Peines par le Ministère de la Justice ;
Rendre effectif le contrôle des Chambres d’Accusation sur les cabinets d’instruction;
Telle est en résumé l’économie des travaux de l’Atelier National sur la Situation Carcérale au Sénégal qui s’est tenu du 16 au 17 décembre 2013 à l’Hôtel Novotel de Dakar.
Le Rapporteur
AMADY DIOUF