RAPPORT DE SYNTHÈSE – SAINT-LOUIS

 

RAPPORT DE SYNTHESE DU SEMINAIRE-ATELIER DE FORMATION SUR LE THEME:

Les obstacles à la mise en œuvre des peines alternatives à l’incarcération et à l’aménagement des peines

SAINT-LOUIS, LES 15 ET 16 FEVRIER 2018

Les 15 et 16 février 2018, s’est tenu à Saint-Louis un séminaire – atelier thématique  sur les obstacles à la mise en œuvre des peines alternatives à l’incarcération et à l’aménagement des peines. Le séminaire organisé par l’Observatoire  National des lieux de privation de liberté  dans le cadre du projet d’appui de l’Union Européenne est destiné aux magistrats du ressort de la Cour d’appel de Saint Louis.

Le séminaire a pour objectif  de réfléchir, d’une part, sur les causes des dysfonctionnements judiciaires dont la surpopulation carcérale est la conséquence et d’autre part, sur les solutions à apporter à cette situation.

Les travaux se sont déroulés en deux phases. La première est consacrée aux communications et la seconde aux travaux d’atelier.

La cérémonie d’ouverture a été présidée par Monsieur Amadou Diop, Adjoint administratif du gouverneur de la région de Saint Louis, représentant ce dernier.

Prenant la parole, Madame l’Observateur national après avoir remercié l’Union Européenne et souhaité la bienvenue à tous les participants, a rappelé à l’assistance les missions de l’Observatoire National et son cadre légal avant de relever les objectifs attendus du séminaire. Il s’agit pour elle de faire des recommandations    afin de rendre la peine d’emprisonnement plus utile dans un contexte de surpopulation carcérale.

El Hadji  Amadou Diouf, président de chambre à la Cour  d’appel de  Saint Louis, représentant le Premier Président de la Cour d’appel a remercié l’Observateur National de l’initiative pour l’organisation de l’atelier  pour les magistrats de son ressort dans un contexte de surpeuplement carcéral.  Il a fait part à  l’assistance des attentes de l’atelier.

Madame Faye, représentant du Ministère de l’économie, des finances et du Plan a remercié également l’Observatoire pour l’initiative et, le gouverneur pour avoir rehausser de sa présence la cérémonie d’ouverture.

Monsieur Amadou Diop, au nom d’Alioune Aidara NIANG Gouverneur de la région empêché, a salué l’assistance et lui a souhaité la bienvenue à Saint-Louis avant de témoigner tout le plaisir de présider la cérémonie d’ouverture. Dans son allocution, il s’est réjoui de l’activité de l’Observatoire National des Lieux de Privation de Liberté pour cette démarche qui consiste à déconcentrer la réflexion sur un thème d’un grand intérêt et d’une grande actualité ainsi sur que le choix de Saint-Louis. Apres avoir listé les 37 établissements pénitentiaires tous construits à l’époque coloniale et dépassant la  plus part  leur capacité d’accueil, le gouverneur a rappelé le cadre légal international et national avant de faire  remarquer qu’en dépit des mesures juridiques prises par l’Etat du Sénégal pour désengorger les prisons, le  constat est  cependant que certains obstacles se dressent contre la mise en œuvre efficiente  des peines alternatives et des mesures d’aménagement des peines. Parmi ces obstacles, on peut citer, entre autres la non-opérationnalité des procédures d’aménagement des peines et l’’absence d’organes devant accompagner l’exécution des peines alternatives.

Et c’est pour venir à bout de ces goulots d’étranglement, dira-t-il, que l’Observateur National, dans le cadre du projet d’appui de l’Union Européenne, organise à Saint-Louis cet atelier thématique.

Apres la cérémonie d’ouverture, les travaux ont été suspendus.

A la reprise, les travaux  du séminaire se sont déroulés en plénière avec des communications et pour modérateur Monsieur Barou Diop, conseiller à la cour d’appel de Saint Louis.

Le premier thème  portant sur « les difficultés de mise en œuvre  des peines alternatives » a été développé par Monsieur Ndiamé GAYE, Président Tribunal de Grande Instance de Saint Louis.

   En introduisant sa  communication, il a rappelé le cadre légal international constitué notamment par la Déclaration Universelle des droits de l’homme  considérée comme la pierre angulaire  et la source d’inspiration de tous les droits fondamentaux et qui, en son article 5 proclame avec force que « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». La prise en compte de ce principe, dira-t-il,  a amené  la communauté internationale a adopté plusieurs directives et instruments juridiques contraignants pour fortement humaniser la sanction pénale et les conditions de détention. Mais devant le recours systématique à l’incarcération et son corollaire, le surpeuplement, la prison est devenue de plus en plus un milieu criminogène.  La prison ne répondant plus à sa vocation, la communauté internationale s’est engagée, dans une démarche de diversification des peines alternatives en développant qualitativement  le référentiel international déclaratif notamment les règles minima des Nations unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté (dites règles de Tokyo adoptées par l’Assemblée générale dans sa résolution 45/110 du 14 décembre 1990) ,  les principes fondamentaux des Nations unies concernant le recours à des programmes de justice réparatrice en matière pénale (Adoptées par l’Assemblée générale dans sa résolution 2001/12 du 24 juillet 2002), les règles des Nations unies concernant le traitement des détenus et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (dites règles de Bangkok , adoptées par l’Assemblée générale dans sa résolution 65/229 du 21 décembre 2010).

Les États s’efforçaient ainsi de réduire la surpopulation et le recours à la détention provisoire, lorsque cela est approprié  en encourageant un accès accru aux mécanismes de justice et de défense par le renforcement des alternatives à l’emprisonnement.

Le Sénégal, en conformité avec ses engagements  internationaux et régionaux,  a modifié le code pénal et le code de procédure pénale notamment avec les lois 2000-38 et 2000-39 du 29 décembre 2000 et leur décret d’application 2001-362 du 04 mai 2001 relatif aux procédures d’exécution et d’aménagement des sanctions pénales,  et récemment la loi 2016-29 du 08 novembre 2016 portant modification du code pénal pour introduire des peines alternatives à l’incarcération. Le président du TGI de Saint Louis a axé sa communication sur deux points. Il a dans une première partie abordé les différentes peines alternatives avant de faire des propositions.

Abordant le premier point , Monsieur Ndiamé Gaye a noté que le législateur sénégalais à travers la réforme de 2000, a introduit dans le code pénal des modes d’aménagement des peines notamment en son ’article  44.2 qui liste une  panoplie des mesures novatrices que sont : le sursis, la probation, le travail au bénéfice de la société (TBS) la semi-liberté, le fractionnement de la peine , la dispense de peine et ajournement dont certaines constituent de véritables substitutions à l’incarcération.

A  ces mesures citées expressément par la loi dont la liste n’est pas exhaustive, il y’a lieu d’ajouter les peines d’amende et certaines peines complémentaires notamment celles  introduites par les articles 33.1 à 35.3 du code pénal qui doivent en réalité fonctionner comme des modes palliatifs à l’emprisonnement.

Abordant la question du sursis, mesure fréquemment usitée dans la pratique, le communicateur note l’absence d’une gestion rationnelle et fiable du casier judiciaire. Il a aussi relevé la difficulté liée à son exclusion pour certaines infractions par l’article 44-2 du code pénal et pour d’autres  comme les coups et blessures à conjoint, les vols aggravés, les blessures involontaires avec délit de fuite, le vol de bétail en présence d’un désistement de plainte ou de réparation du préjudice causé il  a noté.

Ce dernier délit (vol de bétail) a crée un véritable problème dans le rôle des tribunaux d’instance.

En ce qui concerne la probation, il a noté le recours presque inexistant à cette mesure en ce que sa mise en œuvre nécessite la mise en place d’un dispositif de contrôle. Par ailleurs l’absence de précision et de fiabilité des adresses  et la mobilité de certaines populations, constituent des difficultés supplémentaires même si la probation constitue un véritable mécanisme de d’amendement et de resocialisation du délinquant.

Pour ce qui est du  travail au bénéfice de la société (TBS), ses modalités d’exécution sont déterminées par le Comité d’Approbation et de surveillance. Il a relevé qu’avec la réforme de 2016, la loi a supprimé la condition de la fraction de la peine pour en faire un véritable mode alternatif à l’emprisonnement pour les peines prononcées supérieures à trois ans. Cette mesure comme palliatif à l’emprisonnement semble douteuse selon le président Gaye.   D’abord, la loi le prescrit comme une peine complémentaire à la sanction principale qu’est la prison et il faut le consentement de l’intéressé. C’est ensuite une mesure difficile de mettre en œuvre car nécessitant la collaboration d’entités extérieures à l’environnement judiciaire. La difficulté réside, à ce niveau, sur l’absence d’informations du juge sur la personne morale qui devrait bénéficier des services  du prévenu et sur la structure chargée de la mise en œuvre de la mesure. Il n’y a pas encore de cas d’espèce au TGI de Saint Louis.

S’agissant de  la dispense de peine et de l’ajournement,  leur mise en œuvre ne pose à priori  aucune difficulté particulière, le juge appréciant librement les circonstances de l’espèce et la personnalité du délinquant. Dans la pratique du TGI de Saint Louis, il est souvent fait recours à cette mesure notamment l’ajournement pour mettre la pression sur le délinquant et l’obliger à réparer le préjudice causé.

Enfin la semi-liberté, bien que pouvant être prononcée par le juge, opère en réalité comme un aménagement de la peine pour permettre au délinquant de poursuivre un projet professionnel ou de formation. Toutefois, elle a l’avantage de réduire considérablement la durée de la détention, dira-t-il.

Abordant la seconde partie de sa communication, le président Ndiamé Gaye a proposé deux mesures. La première est de réunir toutes les conditions nécessaires pour l’application effective du dispositif existant, notamment la mise en place du cadre institutionnel chargé du contrôle des mesures  alternatives. Les juridictions doivent à cet effet pouvoir développer un véritable partenariat avec les services publics et associations à l’échelle des régions et départements pour disposer des offres et outils d’amendement, de reclassement ou de formation et même d’enquêtes de personnalité. La fonctionnalité du casier judicaire est aussi une exigence non négligeable.

Par ailleurs, à l’interne des juridictions, un dialogue permanent entre les acteurs de la chaine pénale (siège et parquet) permettra de définir une politique pénale cohérente et efficace, adaptée au milieu.

Enfin les maisons de justice doivent d’avantage appuyer les médiations pénales. Elles peuvent aussi jouer un rôle important dans les mécanismes de probation et de suivi.

La seconde mesure, est d’essayer d’améliorer le cadre juridique existant et l’exploration d’autres mécanismes de substitution à la détention.

En effet, il est possible  d’élargir le champ d’application des peines alternatives en réduisant les exclusions ou même autoriser le juge, selon les circonstances propre à chaque cas, de lever les exclusions.

Une réflexion pourra aussi  être menée pour apprécier l’adaptation des expériences des autres pays dans notre dispositif législatif.

Certains pays anglo-saxon,  par exemple, font un recours systématique   à la caution laissant la liberté au juge d’accepter ou non cette garantie de représentation en justice. Il y a aussi l’expérience de la justice réparatrice qui place la victime au centre du dispositif. A chaque fois que son préjudice est réparé ou qu’elle renonce à des poursuites, la détention est écartée. Le recours à la surveillance électronique (bracelet ou tout autre dispositif) doit être exploré surtout que dans nos pays les adresses ne sont pas fiables.  Dans certains pays comme la Belgique, il y a un recours à la médiation pénale pour « sortir de l’inflation pénale » ou au renforcement du contrôle judiciaire comme alternatives à la détention provisoire.

C’est notamment le cas de la plupart des pays de l’Union européenne qui disposent de peines de probation, sous des conditions propres à chacun des pays, D’autres pays ont développé l’exécution des courtes peines en milieu ouvert (Suède).

Monsieur Seyni Bodian, conseiller à la Cour d’Appel de Saint Louis a abordé le second thème de l’atelier « la problématique de la pratique de l’aménagement des peines »  et l’a axé sur deux parties.

Dans une première, il a abordé le cadre juridique de l’aménagement des peines avec la reforme de 2000. C’est ainsi dira-t-il que plusieurs ont été prises par le législateur.

La première série de mesures tend à lutter contre la surpopulation carcérale. Il s’agit du sursis, de la probation, du travail au bénéfice de la société (TBS), de la dispense, de l’ajournement qui sont prises par le tribunal. Il s’agit ensuite de la suspension de peine et de la remise de la remise de peine qui sont prises par le comité d’aménagement (CAP). IL s’agit enfin de la libération conditionnelle qui est accordée par le ministre de la justice.

La seconde série de mesures tend à assurer la réinsertion sociale. C’est le cas de la semi-liberté et du fractionnement, prises par le tribunal d’une part, et, mesures prises par le JAP que sont les permissions de sortir, les autorisations de sortir sous bonne escorte et les placements à l’extérieur, d’autre part.

La troisième série de mesures est constituée par la mise ne place d’un cadre institutionnel: Tribunal, le juge de l’application des peines (JAP), Comité de l‘aménagement des peines, la Commission de surveillance,  le Comité de suivi en milieu ouvert, du service socio-éducatif.

Le président Bodian a fait remarquer que malgré ce dispositif, les résultats attendus n’ont pas été atteints à cause de plusieurs obstacles.

Ces difficultés sont d’abord d’ordre légal. Il s’agit de l’équivocité des textes (ex: articles 692-1et 707-31en matière de fractionnement de la peine, 693-4 en matière de réduction de la peine).

Elles sont ensuite liées aux exclusions légales en matière de détournements de deniers publics, de stupéfiants, de délits douaniers, d’agressions sexuelles, violences notamment entre conjoints.

Elles sont  enfin d’ordre institutionnel avec lourdeur dans la composition des organes.

Terminant sa communication, Monsieur Seyni Bodian a fait une série de propositions. Il s’agit :

  • De doter le JAP de moyens suffisants et en faire une juridiction.
  • D’instituer des voies de recours pour les décisions du JAP.
  • DE rendre plus fonctionnels les organes en les allégeant.
  • De revoir la législation en matière de drogues.

 

Apres les communications les interventions ont tourné principalement sur la nécessité de revigorer les services de recouvrement des amendes, au vol de bétail avec la nécessité de définir la notion de bétail, l’aménagement des pouvoirs du juge de l’application des peines (JAP) et l’urgence de moderniser les lieux.

Apres la première journée consacrée aux communications, les participants ont été repartis en deux groupes pour les travaux d’atelier. A l’issue de ces  travaux, plusieurs recommandations ont été faites.

Pour  les peines alternatives à l’incarcération :

  • Sursis : trop d’exclusions qui vident l’institution de sa substance. Il faudra revisiter le dispositif afin de voir comment encadrer davantage cette notion ; CBV, agressions sexuelles, vol de bétail, usage de chanvre indien
  • Probation: il s’agit d’enlever la condition liée à la peine, rendre fonctionnel le dispositif de suivi et renforcer les moyens du JAP et du Comité d’aménagement, explorer la possibilité d’une surveillance électronique et l’injonction thérapeutique
  • Le Travail au bénéfice de la société: ramener le plancher à un  an, Identifier les organismes destinés à recourir aux condamnés
  • Ajournement et Dispense de peine : Encourager les magistrats à recourir davantage à ces notions.
  • Semi-liberté: le juge n’est pas bien outillé pour apprécier la personnalité du prévenu.
  • Encourager le recours à l’amende surtout en cas d’application de l’article 433 CP et rendre fonctionnel le service de recouvrement.
  • Recourir aux peines de substitution: suspension du permis (de conduire, chasse, armes), retrait et annulation des permis.

Pour  l’aménagement des peines :

  • Drogues : pour la détention en vue de la consommation personnelle, prévoir le sursis ou à l’amende en substitution et pour le trafic revenir au dispositif ancien.
  • Infractions économiques (abus de confiance, escroquerie et autres) : recourir fréquemment à l’ajournement et après exécution des engagements dispenser de la peine.
  • Travail au bénéfice de la société : Encourager un partenariat avec les organismes ou établissements publics pour une mise en œuvre effective.
  • Réduction de la peine : clarifier davantage l’article 693-4 du CPP

Clôturant les travaux, l’Observateur National et le représentant du premier président de la Cour d’appel de Saint Louis ont remercié les participants et relevé la richesse et la profondeur des débats.

 

BAROU  DIOP

Conseiller à la Cour d’Appel de Saint Louis

Rapporteur-modérateur

Fait à Saint-Louis  le 16 Février 2018

LE  REGISSEUR

YOUNOUSSE  KANE.

 

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