Monsieur le Procureur Général près la Cour d’Appel de Thiès
Monsieur le Président de l’Union des magistrats du Sénégal
Monsieur le bâtonnier de l’ordre des avocats
Mesdames, messieurs les magistrats en vos grades et qualités respectifs
Honorables invités
Chers Collègues participants,
Nous ne saurons commencer notre allocution, sans vous exprimer la joie profonde que nous ressentons de vous avoir à nos côtés, pour partager, avec nous, ces quelques heures de réflexions sur des questions qui, aujourd’hui, nous tiennent à cœur et dont cet atelier, que nous allons tenir, va s’évertuer de nous apporter des solutions concrètes ;
Soyez remerciés infiniment d’avoir pu, chacun d’entre vous, puiser dans votre agenda chargé, un peu de temps, pour venir nous gratifier de votre soutien ;
En effet parmi les nombreuses activités que nous, observateur national des lieux de privation de liberté, avons à initier, celle relative au désengorgement de ces lieux de détention nous semble revêtir une grande importance.
Il convient de rappeler que le Sénégal a été le premier pays africain notamment francophone à ratifier le protocole facultatif relatif à la convention de la torture et les autres peines ,traitements inhumains, cruels ou dégradants en 2006 et à mettre en place un mécanisme de prévention de la torture à travers la loi 2009-613 du 02 Mars 2009 et son décret d’application 2011-842 du 16 Juin 2011 instituant l’Observateur national des lieux de privation de liberté.
Qualifié d’autorité administrative indépendante, l’Observateur est chargé de contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de Liberté afin de s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux et de prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Dans son domaine de compétence, il émet des avis, formule des recommandations aux autorités publiques et propose au gouvernement toute modification des dispositions législatives et réglementaires applicables. Ces actions s’inscrivent dans les orientations du gouvernement, en matière de justice.
Il est à rappeler également que lors de la présentation par le Sénégal de son deuxième rapport au conseil des droits de l’homme au titre de l’examen Périodique Universel EPU, le 21 Octobre 2013, le groupe de travail avait interpellé l’Etat du Sénégal à respecter les engagements découlant de la convention contre la torture, à construire de nouvelles prisons et à intensifier l’application des peines alternatives à l’emprisonnement et de veiller à l’amélioration des conditions dans les prisons .
C’est dans ce contexte précis que se situe ce présent atelier qui vise à inciter les magistrats à prononcer et à faire appliquer les décisions tendant au désengorgement des prisons.
En effet, la problématique de la surpopulation dans les établissements pénitentiaires a, depuis de nombreuses années, retenu l’attention des acteurs judicaires.
Malgré les initiatives de relèvement de l’indemnité journalière des détenus, de construction et d’extension du parc pénitentiaire ainsi qu’une tendance à le moderniser, la situation est préoccupante.
Cet agrandissement du parc n’est pas la solution la plus pertinente ni le moyen le plus efficace contre le surpeuplement des prisons ; même s’il n’est pas discutable que la construction de nouveaux établissements, conjuguée à la réhabilitation des prisons les plus vétustes peuvent conduire à une amélioration globale des conditions de détention;
La sur-occupation des cellules entraine une perte d’intimité et constitue sans nul doute un traitement cruel inhumain et dégradant. Les MAC du ressort de la Cour d’Appel de Dakar connaissent un surpeuplement assez marqué se traduisant dans les cellules par une surface moyenne disponible par détenu très faible.
L’impact de la surpopulation carcérale sur la promiscuité, l’insalubrité, la santé des détenus apparait clairement dans nos nombreux rapports de visite ou monitoring des prisons et cela sur presque toute l’étendue du territoire.
Ce mal devenu endémique empêche à l’administration pénitentiaire de respecter les standards pour séparer inculpés, prévenus et condamnés en tenant compte de leur personnalité et des infractions commises.
Fort de ce constat, il apparait que le moyen efficient de résoudre la surpopulation carcérale serait de permettre à des détenus condamnés à de courtes peines, moins d’un an ou plus, de bénéficier d’aménagement de peine. Théoriquement, il suffirait de convaincre les magistrats d’utiliser les instruments juridiques pour réduire le recours à l’incarcération et pour rationaliser la justice pénale, eu égard au respect des droits de l’homme, aux exigences de la justice sociale et aux besoins de réinsertion des délinquants.
En ratifiant les règles de Tokyo adoptées par l’Assemblée Générale le 14 Décembre 1990 et qui font référence au pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 Décembre 1966, le Sénégal s’est vu obligé d’entreprendre une réforme de son dispositif juridique en adoptant les lois 2000-38 et 200-39 du 29 Décembre 2000 modifiant respectivement le code pénal et le code de procédure pénal ainsi que leur décret d’application numéro 2001-362 du 04 mai 2001 relatifs aux procédures d’exécution et d’aménagement des sanctions pénales.
Toutefois, il importe de relever que, malgré la mise en place de ces instruments complétée par l’institutionnalisation de l’Observateur des lieux de privation de liberté, comme rappelé ci-dessus, la surpopulation carcérale continue de préoccuper les acteurs du système judiciaire. De notre humble avis, il y a une impérieuse nécessité de maintenir la réflexion pour un diagnostic plus approfondie de la situation carcérale dans le ressort de Dakar, en attendant d’élever, encore une fois, le débat au plan national en vue d’avoir des recommandations partagées et innovantes. Cet atelier d’envergure national se fera avec la collaboration des différentes directions du Ministère pour consolider la réflexion et avoir un plan d’action national participatif et cohérent ;
Ce constat lié à la surpopulation est alarmante d’autant plus que la criminalité globale dans le ressort suit une tendance à la baisse grâce aux mécanismes de prévention mis en place par les autorités gouvernementales. Cette surpopulation est incompatible avec la nécessaire protection de la dignité des détenus. Un regard sur les notices et documents de l’administration pénitentiaire nous offre un aperçu de ce qui permet d’avancer, qu’avant d’exiger la création de nouvelles prisons, il faut faire un état des lieux de la situation en vue d’apporter des thérapies réalistes et à brève échéance. La situation est d’autant plus préoccupante que notre système judiciaire est basée sur la prémisse qu’une personne est innocente jusqu’à preuve du contraire.
Il est dès lors légitime de se demander pourquoi autant de personnes détenues provisoirement se retrouvent à grands frais derrière les barreaux.
Désengorger les prisons ne signifie pas plus de laxisme, mais démontre que la prison est davantage réservée aux délinquants qui menacent la sécurité du public.
Le recours aux alternatives à la peine devrait assurer également une meilleure prise en charge sociale dans le règlement des problèmes et des conflits qui aboutissent devant les tribunaux. En effet prononcer l’ajournement de la peine après une condamnation pécuniaire assortie d’une contrainte par corps au maximum constitue une réelle alternative qui permet à l’auteur d’une infraction de réparer la faute pénale et de bénéficier ultérieurement d’une peine assortie du sursis ou carrément d’une dispense de peine ;
Il est à regretter qu’aucune étude sérieuse n’ait évalué les peines que l’on prononce et les effets qu’ils produisent sur les personnes concernées .Des peines planchers sont instituées au mépris du principe d’individualisation des peines sans qu’on sache réellement si ces peines sont dissuasives et favorisent la réinsertion sociale.
L’objectif de cet atelier qui part d’un diagnostic sans complaisance concluant à une surpopulation carcérale est d’éviter, autant que possible, les incarcérations inopportunes, conformément à notre législation qui prévoit que la peine de prison doit être en matière correctionnelle un recours nécessaire.
Les recommandations de qualité qui sortiront de ces travaux contribueront sans nul doute à faire de la peine d’emprisonnement une sanction utile pour le condamné dans la perspective de sa réinsertion, notamment en garantissant des conditions de détention dignes et en promouvant des aménagements de peine de manière à organiser un retour à la liberté préparé, progressif, suivi et contrôlé, pour un nouvel équilibre.
Avant de conclure mes propos permettez-moi de remercier les autorités judiciaires du ressort avec en première ligne, les Premiers Présidents Demba Kandji et Henri Grégoire Diop qui n’ont ménagé aucun effort pour la tenue correcte de cet atelier ainsi que tous les magistrats du ressort qui ont bien voulu répondre à notre invitation ;
Une mention spéciale à notre partenaire notamment la délégation de l’Union Européenne qui, à côté de l’Etat, nous appuie dans le cadre de ce projet pour faire face à la surpopulation carcérale ;
Egalement, nous remercions vivement et solennellement, le Garde des Sceaux Ministre de la justice Ismaila Madior Fall qui nous a fait l’honneur de présider cet atelier dont les conclusions sont fortement attendues et cela malgré son emploi du temps très chargé. Monsieur le Garde des sceaux, votre attachement au respect des droits humains est constant ;
Je vous remercie de votre aimable attention.